"Pour une francophonie ouverte", tribune des Affaires étrangères Bernard Kouchner publiée dans lemonde.fr (20.10.2010)

Tribune "Pour une francophonie ouverte" du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, publiée dans lemonde.fr (20.10.2010)

"Montreux accueille, à partir du 20 octobre, les 70 pays de l’Organisation internationale de la Francophonie. Un tiers des Etats de la planète sont ainsi réunis pour discuter de l’avenir de la langue française, mais aussi pour dégager des positions communes sur les grands sujets débattus dans les enceintes internationales. Sur la réforme de la gouvernance politique mondiale. Sur la régulation financière. Sur les droits de l’Homme et la démocratie. Sur la sécurité alimentaire. Sur le climat et la biodiversité. Sur la nécessité d’un effort accru en faveur du développement des pays les plus pauvres, en particulier par des financements innovants."

Deux bonnes nouvelles accompagnent l’organisation, dans la patrie de Rousseau, de ce Sommet de la Francophonie.

La première : la langue française continue de progresser. Un récent rapport établit à 220 millions le nombre de locuteurs francophones dans le monde. Ils devraient être un demi-milliard en 2050. Le français est la langue officielle ou de travail de 32 Etats. Preuve de vitalité, il est la troisième langue sur Internet, la seule avec l’anglais à être enseignée dans presque tous les pays du monde. Quant à la littérature et au cinéma de langue française, ils sont les plus diffusés après les littératures et les cinématographies anglo-saxonnes.

Seconde bonne nouvelle : le redressement de l’Afrique, où vivent près de 100 millions de Francophones, est en marche. Le continent africain affiche désormais un taux de croissance moyen de plus de 5 %. Même si de nombreux défis restent à relever, il est entré dans la mondialisation économique et culturelle. Il ne devrait pas tarder à en tirer tous les bénéfices.

Relativisons donc les discours pessimistes. Si le français est une langue parmi d’autres, il est aussi une des grandes langues du monde. Nous pouvons regarder son avenir avec confiance. Toutefois, prenons garde à la façon dont nous en faisons la promotion ! Ma conviction : la francophonie ne continuera de se développer que si elle est une francophonie ouverte.

Ouverte d’abord à l’invention. Une langue figée, réticente à créer des mots et des expressions nouvelles, est vite submergée par les locutions étrangères et les langues plus inventives. Les Québécois l’ont compris et font preuve d’une prodigieuse créativité linguistique.

Ouverte ensuite aux vecteurs de communication globale. C’est sur Internet, le Web 2.0 et les médias internationaux que se joue le futur de notre langue. Nous devons investir en priorité ces nouveaux espaces.

Passion à la française

Ouverte aux autres langues, aux autres cultures. La diversité culturelle que nous réclamons à notre profit, nous devons en faire bénéficier les autres, en particulier les cultures et les langues minoritaires. C’est une question de cohérence. Ouverte à l’anglais. La francophonie ne doit pas être opposée à l’anglophonie. L’heure n’est plus aux combats d’arrière-garde ! Il est important que l’Afrique francophone parle aussi anglais, et réciproquement. C’est le sens du rapprochement entre la francophonie et le Commonwealth soutenu par le chef de l’Etat. Cette ouverture vaut aussi pour nos compatriotes. Ils savent que, pour compter dans le monde, ils doivent parler les langues étrangères. Nos universités l’ont bien compris qui, pour attirer les élites universitaires et scientifiques du monde entier, n’hésitent plus à leur proposer, en même temps qu’une immersion en français, des formations en anglais.

Enfin la francophonie doit être ouverte aux grands débats qui agitent la planète. Le club francophone - qui réunit des pays différents par leur niveau de richesse, leur culture, leur religion - doit toujours mieux s’impliquer dans la résolution des conflits, dans le progrès des libertés politiques, la promotion d’un développement partagé et durable. C’est ce qu’il fait avec succès sous l’impulsion décisive d’Abdou Diouf. Nous le démontrerons une nouvelle fois à Montreux.

C’est cette francophonie ouverte et décomplexée qui inspire la politique étrangère de la France. Elle fonde notre soutien à l’Organisation internationale de la Francophonie, que le président réaffirmera. Elle guide l’engagement de Jean-Pierre Raffarin, représentant personnel du chef de l’Etat pour la Francophonie. Elle justifie notre action audiovisuelle extérieure, notre réseau de 460 lycées français, notre partenariat avec les centaines d’alliances françaises qui enseignent notre langue. Elle inspire la réforme d’envergure que nous avons lancée en créant, avec l’Institut français, la grande agence culturelle extérieure dont notre pays avait besoin. Avec la Francophonie, ce ne sont pas seulement nos intérêts qui sont en jeu. Rappelons-nous : Rousseau voyait l’origine des langues dans les passions, plus que dans le besoin des hommes. Oui, ce sont aussi de grandes passions qui sont en jeu ! Passion de l’autre, passion de la liberté, passion de la justice, passion à la française… ./.

Paris, 20 octobre 2010

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- lemonde.fr
- www.francophonie.org/

Dernière modification : 23/03/2011

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